Grammaire du Français CLassique et Moderne. R.L. Wagner et J. Pinchon
Grammaire
du français
Classique et moderne
R.L. Wagner et J. Pinchon
HACHETTE
UNIVERSITE, 1962
1. Introduction
Depuis la moitié du XXe siècle, le
domaine des études linguistiques a subi une évolution remarquable. Même si la
grammaire traditionnelle continue à avoir sa place, au niveau académique ont
surgi maintes écoles linguistiques qui ont modifié à jamais la physionomie de
la grammaire, notamment le structuralisme européen et la grammaire générative
et transformationnelle. Un débat encore inachevé et parfois violent a commencé
entre ceux qui s’inclinent vers les nouveaux concepts et ceux qui s’accrochent
à la tradition. Ceux-ci négligent souvent l’importance des études
contemporaines, des avances et de la richesse qui constitue la diversité de points
de vue sur le même sujet, n’allant qu’à la recherche des défauts.
La grammaire du français classique et moderne, de Wagner et Pinchon, dont on va s’occuper dans
cette petite étude, essaie de mélanger les « grammaires de l’idiome »
(grammaire traditionnelle) et celles de la langue dans le même ouvrage : «
elles ont chacune leurs droits et ceux-ci sont complémentaires ». Mais ici
on justifie surtout l’importance de récupérer dans l’enseignement actuel les grammaires
de type traditionnel.
Malgré les critiques incontestables
aux grammaires de type classique : elles risquent d’être rigides,
éloignées de la langue vivante ; elles nous donnent une vision partielle
de la langue puisqu’elles sont normalement « construites » et unies à
un paradigme littéraire concret, qui ne s’inspire pas de la diversité d’un
contexte réel ; les grammaires traditionnelles nous offrent un corpus qui essaie
d’analyser la langue et sa complexité. Un corpus qui sert à résoudre les problèmes
à tous les chercheurs. Les grammaires classiques assument que « le sens de la
grammaticalité n’est pas la même chez tous les chercheurs », raison par
laquelle elles essaient de faciliter un contexte commun à tous : ce qu’on
extrait, par exemple, des auteurs des œuvres littéraires consacrées. Cette
caractéristique, qui a toujours été le blanc des critiques adressées aux
grammaires classiques, nous est montrée ici comme leur potentialité.
C’est à cause de cela que les
nouvelles méthodes doivent construire
des énoncés qui permettent d’avoir divers types de contextes, attirants, et qui ne manquent pas de situations réelles. Mais
ce contexte créé par rapport à une réalité, ne sera qu’une représentation simplifiée d’une réalité. C’est un schéma
sur lequel on s’approche de la langue « vivante » mais ce ne sera
jamais la langue, elle-même. Par la réduction de toutes les manifestations
linguistiques possibles à une seule situation concrète, par la simplification
des études de langue aux manifestations particulières qui peuvent être démodées
ou ne pas être suffisamment générales, on risque de perdre la complexité et la
richesse de la langue.
Cela pose encore des problèmes
aux nouvelles méthodes: comment satisfaire tout le monde et comment constituer
un corpus organisé et aux repères faciles de manière que le chercheur ne se
perde pas entre les divers énoncés ?
« C’est là que des ouvrages d‘un type traditionnel, descriptif,
s’avèrent encore non seulement utiles mais indispensables »
2. La grammaire
Il s’agit d’une œuvre complexe,
très complète d’une vaste dimension qui parcourt environ six cent cinquante pages classifiées par des
structures grammaticales.
C’est une grammaire tout à
fait explicite qui explique chaque catégorie dans un cadre théorique qui essaie d’être exhaustif et expliquer comment
les différents éléments s’articulent dans la langue : les fonctions, modes
d’emploi, etc.
Sa table de matières,
constituée de trois pages recto verso, nous montre comment cet ouvrage commence
par faire une introduction historique autant du point de vue de la langue que
de la grammaire (latin, roman, français, la grammaire française) jusqu’à moment
de son édition (1962). La bibliographie, les principes d’analyse et les signes
(phonétiques) employés et les caractères de l’énoncé (considérations générales
sur l’énoncé et la phrase : style direct / indirect / style indirect libre
et leurs marques) sont des préliminaires qu’on peut aussi consulter.
Quant aux principes d’analyse
les auteurs montrent une volonté de partir de la morphologie pour arriver à la
syntaxe, définie comme les rapports que les mots contractent dans des ensembles
partiels ou complets. Cette méthode permettra de dégager les « valeurs grammaticales »
morphologiques (catégories) et syntaxiques (fonctions), qui sont explicitement
considérées comme indépendantes de la réalité hors langue, ce qui montre déjà
un souci moderne de restreindre et limiter le domaine de la linguistique en
écartant la référence.
Dans la table de matières, on
peut apprécier les catégories suivantes : le substantif et ses
déterminants, l’adjectif qualificatif, les pronoms, le verbe, les adverbes, les
conjonctions de coordination, les prépositions, la phrase. Cette structure, appréciable dès la
présentation des chapitres, confirme l’intention des auteurs de faciliter l’usage de la grammaire. On
trouve sans difficulté ce qu’on cherche avec ce type d’énoncés. Ensuite, les auteurs ont doué la grammaire
d’un index ordonné alphabétiquement où l’on trouve des mots clés tel que :
Adjective, adverbes, agent, indéfinis, on, transitif, etc., qui facilitent la
recherche à des lecteurs non spécialistes.
Dans cette composition il ne
semble pas avoir lieu pour le domaine de l’implicite.
3. Brève analyse d’un de ses thèmes (Le
substantif)
De façon qu’on puisse se faire
une idée de l’organisation du thème, on présente par la suite la table de
matières développée du thème consacré au substantif, qui est le premier après
les considérations déjà citées, tel qu’il arrive souvent dans les grammaires
traditionnelles.
Le substantif
I. Généralités
26.
Composition de l’espèce des substantifs.
27. Genre et
nombre des substantifs.
28. Les
marques de catégorie des substantifs.
29. Les
déterminants du substantif.
30.
Déterminants spécifiques et déterminants complémentaires.
II. Les catégories du
substantif
A. Le genre
31. Notions
préliminaires.
32.
Substantifs dont le genre héréditaire n’est pas motivé.
33.
Substantifs dont le genre est motivé.
34. Le genre
des mots nouveaux (dérivés et néologismes)
35. Le genre
des noms propres.
36. Les
marques du genre féminin.
37. La
désinence –e.
38. Les
suffixes.
39. Les
déterminants spécifiques.
40. Mots
génériques.
41. La
valeur des genres.
B.
Le nombre
42.
Notions préliminaires.
43.
Les marques du pluriel dans les substantifs simples.
44.
Le pluriel des substantifs composés de deux termes.
45.
Pluriel des substantifs composés qui s’écrivent en un seul mot.
46. Pluriel des substantifs
composés dont les éléments sont distincts.
47. Pluriel des substantifs
empruntés à une langue étrangère.
48. Valeur du nombre.
III.
Les fonctions du substantif
49.
Fonctions et rôles du substantif.
Le
substantif sujet ou thème
50.
Le substantif est le thème d’un prédicat exprimé.
51.
Substantif sujet d’un prédicat non exprimé.
52.
La séquence du tour impersonnel.
53.
La construction du substantif sujet.
54.
La place du substantif sujet.
Le
substantif attribut
55.
Le substantif assume la fonction d’attribut.
56.
La substantif attribut d’un complément.
57.
La construction des substantifs attributs.
58.
La place du substantif attribut.
59.
Détermination du substantif attribut.
Le
substantif complément
60.
Le substantif complément
A. Le substantif détermine un
substantif
61.
Construction directe
62.
Constructions indirectes
63.
Détermination du substantif complément
B.
Le substantif détermine un adjectif
64.
Construction
C.
Le substantif détermine le verbe
65.
Les compléments essentiels du verbe.
66.
Le complément d’agent
67.
Les compléments circonstanciels
68.
Compléments essentiels et compléments circonstanciels.
Autres
fonctions du substantif
69.
Les substantifs, centres d’une phrase sans verbe
70. Les substantifs en apposition
71.
Les valeurs du substantif en apposition
72.
Le substantif en apostrophe
Dans une grammaire descriptive
comme celle-ci, peut-être il n’est pas bizarre de voir que le nombre de pages
utilisés pour développer ces trois sujets, soit d’environ une trentaine mais il
choque un peu quand même quand on n’a pas l’habitude de la
« verbosité » grammaticale.
Morphologiquement
les substantifs sont caractérisés par :
- tenir
d’eux-mêmes leurs marques de genre et de nombre ;
- s’appuyer
sur des déterminants spécifiques.
En ce qui concerne les marques
elles sont classées en internes (prononciation et/ou orthographe) et externes
(les déterminants spécifiques, auxquels les auteurs consacrent un chapitre à
part).
Quant
au genre des substantifs, les auteurs établissent un classement entre ceux dont
le genre n’est pas motivé (ils ont de par sa nature un genre déterminé qui ne
peut pas être modifié) parmi lesquels ils classent aussi les mots dérivés dont
le suffixe exige un genre déterminé, et ceux dont le genre, par contre, est
motivé. Ce groupe-ci serait formé par les substantifs qui désignent des êtres
vivants (humains et certains animaux) et pour lesquels il est nécessaire
d’établir une distinction de sexe soit par un substantif différent pour le
masculin et le féminin, soit par une désinence (-e pour le féminin). Le genre
peut avoir aussi une valeur distinctive lorsqu’il fait possible la différenciation de
certains homonymes. Dans leur analyse du genre les auteurs traitent évidemment
la question de marques et sa typologie et aussi celle de noms propres.
Pour
le nombre les auteurs commencent par déterminer le cas non marqué (le
singulier) tout en signalant la présence de certains substantifs
traditionnellement employés au pluriel. Par la suite ils présentent
l’inventaire de marques de pluriel et l’application de ces marques à des cas
particuliers (substantifs composés – de plusieurs types -, emprunts), le tout
suivi d’une analyse de la valeur et la façon d’être utilisé du nombre dans de
différents types de substantifs (noms communs et noms propres).
À
la fin du thème, et tel qui nous avait été indiqué au début de l’ouvrage, on
nous présente toutes les possibilités combinatoires du substantif,
c’est-à-dire, ses possibles fonctions syntaxiques : sujet, prédicat,
attribut, complément d’objet, complément déterminatif, apposition, noyau de
phrases prédicatives sans verbe.
Les catégories données pourraient
nous faire penser qu’il s’agit d’une compilation au style des grammaires
traditionnelles plutôt que des modernes. Mais on ne peut pas l’assumer comme
vrai parce qu’elles sont des catégories aussi valides pour des analyses de type
structural. Cependant on peut bien la différencier de celles des génératives.
Pour quoi ?
Les explications des
structures syntactiques et comment elles sont abordées nous donnent des indicateurs
pour les différencier : les catégories de genre et nombre, par exemple,
sont toujours prises en compte à l’heure d’expliquer le substantif pour tous
les théoriciens. Ce qui nous importe ici c’est comment le substantif est construit,
quelle est sa place dans la phrase et quelles sont ses fonctions. La sémantique
est tout à fait négligée, n’étant objet d’étude que les caractéristiques
morphosyntaxiques. Cependant on pourrait dire que les générativistes tiennent
compte de certains aspects sémantiques, même si seulement ceux qui ont des conséquences
au niveau de la syntaxe, tels que les ainsi appelés traits du nom (le
substantif) : nom commun – propre, animé – non animé, humain- non humain,
comptable- non comptable, masculin - féminin, et aussi, noms singuliers et
pluriels. La distinction, par exemple, entre animé et non animé, nous permet d’établir
des restrictions pour certains unités lexiques ; par exemple, la
phrase : *La pierre est enceinte
ne serait pas une phrase correcte en français puisque, même si pierre est un nom féminin, ayant par là
le « droit » morphologique d’occuper cette place dans la phrase, le
fait d’être « non animé » lui empêche de le faire.
Tandis que autant les visions
traditionnelles que les structurales sur la langue cherchent des explications en
classifiant ses éléments de manière descriptive, les générativistes étudient
comment sont générées les structures de la syntaxe pour expliquer le phénomène
qui est la langue.
Il s’agit d’une grammaire
théorique qui néglige la pratique, ce qu’on peut observer par l’absence d’exercices
d’entraînement pour les différentes unités. C’est une grammaire descriptive
pure pleine d’exemples. Parmi les exemples, il y en a qui sont extraits des
œuvres littéraires des auteurs classiques (Balzac, Stendhal, Flaubert,
Camus,..) mais aussi des situations réelles de la langue parlée.
Cette grammaire fait une
comparaison entre l’usage classique et actuel de la langue. Elle s’articule sur
une structure traditionnelle (descriptive, explicite, non communicative) mais
elle ajoute des notions modernes telles que la présence de transcription
phonétique des mots qu’on trouve dans quelques exemples donnés.
Il n’y a pas de souci
pédagogique ou didactique présent dans cette grammaire dont on pourrait affirmer
qu’elle est consacrée à l’étude de la langue plutôt qu’aux procès d’enseignement et d’apprentissage. Elle s’exprime
d’un langage correct presque soutenu qui ne s’adresse pas à personne. Les
énoncés ne sont formulés ni d’un point de vu pédagogique (ils ne s’adressent
pas aux enfants), ni sociologique (ils ne montrent pas les thèmes d’une
approche aux inquiétudes d’une société concrète). Ainsi, quand on parle du
substantif on ne lit pas de choses comme « les noms sont mes
amis », qu’on pourrait bien trouver dans des énoncés pédagogiques.
Le labeur didactique n’est pas
pourtant ici un aspect nécessaire pour arriver à apprendre la grammaire du
français. On ne trouvera pas entre ses pages des couleurs séduisantes qui
attirent notre attention et même pas de dessins ou de langage iconique. C’est
une oeuvre qui donne plus de valeur aux contenus qu’à la forme. Il nous
intéresse le « Quoi », pas le « Comment »
4. Conclusion
Le fait d’appeler quelqu’un
par son nom propre n’est pas un signe de connaître la personne qui le porte. Or,
si cela est vrai, on peut dire que la simple (ou pas si simple) description des éléments qui composent une
langue ne va pas tout nous dire sur elle. C’est pour cela que je vois très
intéressant l’existence des méthodes modernes qui voient la langue comme un
système de communication dont il faut remarquer l’importance des interactions
personnelles et les échanges avec l’entourage qui configurent la situation
communicative. Mais on ne peut pas négliger le besoin de nommer quelqu’un, par
exemple, pour savoir de qui on parle. Au
contraire il sera presque impossible de s’adresser à quelqu’un. C’est un phénomène
humain de classifier tout.
Alors, le but des études d’une
langue ne sera pas, à mon avis, seulement la description et les applications
des règles grammaticales données mais cela ne veut pas dire qu’on ne puisse pas
essayer de l’expliquer en étudiant les éléments qui la construisent.
Cependant
une approche pragmatique à la langue, qui contemple les contextes et situations
les plus variés tout en considérant les éléments situationnels concrets à
chaque fois, créant par là un inventaire exhaustif, n’est pas non plus un
garant d’arriver à saisir la langue, qui reste dans une certaine mesure, autant
par une approche que par l’autre, inatteignable.
Les grammaires, elles ont toutes quelque chose à dire et c’est à nous le travail de tirer d’elles tous les enseignements, de les réorganiser et de les adapter aux niveaux des élèves avec cohérence aux objectifs didactiques dans le cadre institutionnel et complexe qui est l’école.
ALicia del Castillo Camino